Laura Estill fait d’intéressantes trouvailles lorsqu’elle fouille dans les vieux manuscrits. Professeure agrégée d’anglais et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en humanités numériques à l’Université St. Francis Xavier, elle étudie comment les pièces de théâtre de William Shakespeare et de ses contemporains ont été reçues — depuis leur tout début au théâtre et leur première publication jusqu’à de nos jours.
Les manuscrits auxquels s’intéresse Mme Estill fournissent des preuves écrites de la manière dont les gens réagissaient aux œuvres de Shakespeare lorsqu’ils en faisaient la lecture ou les voyaient au théâtre.
« J’ai des exemples savoureux de personnes qui s’inspiraient des œuvres de Shakespeare pour draguer, indique Mme Estill, ou de pièces de théâtre tombées dans l’oubli qui étaient les favorites de quelqu’un, ou de phrases qui sont devenues des proverbes. »
La difficulté, lorsqu’on étudie des manuscrits datant de plusieurs siècles, c’est qu’ils se trouvent dans des dépôts de partout dans le monde et qu’il n’en existe qu’un seul exemplaire, lequel n’a bien souvent pas été numérisé. C’est là qu’intervient Mme Estill : elle crée des transcriptions de textes manuscrits afin de rendre leur contenu interrogeable à partir de métadonnées, permettant ainsi aux universitaires — voire à monsieur et madame Tout-le-Monde — de mieux comprendre comment les gens lisaient et interprétaient ces textes datant du début du théâtre des temps modernes.
Après avoir transcrit les textes manuscrits, Mme Estill les encode en format TEI, un langage XML qui peut servir à créer des éditions numériques ou des sites Web.
« La possibilité de consulter le contenu des manuscrits changera de plus en plus notre façon de comprendre l’historique de la réception de ces textes, estime Mme Estill. Je m’intéresse également à la manière dont nous représentons ces pièces en ligne par l’intermédiaire de ressources numériques que nous créons pour comprendre la littérature. Quels aspects doivent être mis en valeur, et lesquels doivent être laissés de côté? »
Le projet numérique de Mme Estill, DEx: A Database of Dramatic Extracts (une base de données d’extraits de pièces de théâtre) comprend aussi l’étude d’ouvrages manuscrits, laquelle peut, par exemple, démontrer quelles pièces de théâtre les gens imitaient le plus ou quels étaient les personnages préférés des lectrices et lecteurs. Mme Estill mène ce projet avec sa collègue Beatrice Montedoro, de l’Université de Zurich.
« Ce genre d’information ne se trouve pas dans les manuscrits originaux, explique Mme Estill. Il n’est pas écrit, par exemple, "voici un passage d’Othello". Seul le passage est noté. Notre travail consiste donc à ajouter toutes ces métadonnées pour rendre le contenu des textes interrogeable. »
Sans logiciels de recherche et outils de gestion des données de recherche, Mme Estill ne pourrait pas accomplir son travail. Selon elle, il est important de financer les projets numériques en sciences humaines, 45 % d’entre eux étant abandonnés dans les dix années suivant leur lancement.
« Les gens créent ces ressources, mais elles sont ensuite perdues par manque de financement ou en raison de difficultés avec les plateformes qui évoluent, fait-elle valoir. Les sciences humaines traversent une crise en ce qui concerne la gestion des données de recherche ».